vendredi 5 décembre 2014

Tournée du soir

Bon sang, il fait un froid de canard ! Et déjà presque nuit.
J'enfile mes gants et j'enfonce mon bonnet, je ne veux surtout pas que mes oreilles dépassent.
Autour de moi, tout le monde dévale l'escalier en courant, trop pressés de s'échapper du collège, le temps d'un week-end.
Je jette un coup d’œil rapide sur la place.
Même dans la pénombre, il me faut quelques secondes, à peine, pour la repérer, notre vieille voiture cabossée. 
Impossible de la louper avec son pare-chocs gondolé et sa peinture toute éraillée !

À mon tour, je descends les marches quatre à quatre. Dans le brouhaha général, on m'entend à peine dire tchao tchao aux copains, « À lundi ! »,
allez zou, je m'engouffre à l'arrière.
  • Salut' Man ! La vache, il fait froid ! J'en ai des frissons dans le cou.
Maman se retourne.
  • Oui, mon Loulou. Allez, tu t'attaches, on n'est pas en avance. T'es sorti tard, dis donc.
  • C'est parce qu'ils nous ont filé la photo de classe. Fallait faire la queue pour la récupérer.
  • Ha, ok. Elle est bien ? J'ai hâte de la voir !
  • Pas moi. (je pense dans ma tête)

Bizarrement, Maman est plutôt silencieuse. Je regarde défiler les pâtés de maison. Beaucoup ont déjà illuminé leur balcon. Je souris en pensant aux vacances qui se rapprochent.

On arrive très vite devant la maternelle.
Le timing est impeccable, on est à peine garés que la porte s'ouvre à l'arrière, côté trottoir.
Mael apparaît, tout emmitouflé dans les bras de Papa, qui l'installe dans le siège auto, disparaît en coup de vent, claque la portière, réapparaît à l'avant et s'installe à côté de Maman, en se frottant les mains.
  • Brr, il fait pas chaud quand même.
Maman ne dit rien et démarre en trombe.
Papa souffle dans ses paumes pour les réchauffer. Il insiste.

        Ça caille, hein ?
  • Oui, ça pèle. Tu ne vas pas t'y mettre, toi aussi. On peut passer à autre chose ?
  • Qu'est-ce que t'as ? Qu'est-ce que j'ai dit ?
  • Non, rien.
  • Bah si, je vois bien que t'as quelque chose.

Un moment. Puis,

  • Surtout quand elles sont de saison, les températures, je ne vois pas pourquoi on en fait un sujet de conversation.
  • Euh, j'ai juste remarqué qu'il faisait froid.
  • Je sais bien, mais si on pouvait tous arrêter de se plaindre. Ce n'est pas nous qui avons vraiment froid.
  • Ha si, moi, j'ai froid ! s'écrie Mael en secouant ses moufles.
  • Ce que je veux dire, Bonhomme, lui explique Maman, c'est que ce n'est pas nous qui avons le plus froid. Ce sont les ouvriers sur les chantiers, les paysans, les sans-abris...
  • Ha non, tu ne vas recommencer ! interrompt Papa. Tu nous fais le coup, chaque année.
  • Et alors? Chaque année, c'est de plus en plus vrai !
  • Qu'est-ce qui est de plus en plus vrai ? je demande, malgré moi.
Dans le rétro, Papa me fusille du regard. Je l'entends presque me dire « T'es fou, ou quoi ! Maintenant qu'elle est lancée, on ne va plus pouvoir l'arrêter. »
Effectivement, 

  • Ce qui est vrai, c'est que les gens chouinent toute la journée dès qu'il s'agit de sortir le bout du nez, mais ils ne se rendent pas compte de leur petit confort. On est tous là avec nos beaux manteaux...

Ok, je comprends mieux.

… et pendant ce temps, il y en a qui crèvent la dalle! Et qui meurent dans la rue, mais tant qu'on ne les voit pas, on s'en fout. Les plus démunis, ça nous passe au dessus tant qu'on dort au chaud dans notre petit lit. 
Les pauvres sont de plus en plus pauvres. Non mais rien que ça, ça devrait nous faire réfléchir!…


On finit par arriver devant le lycée. C'est au tour de Violette de monter.
Tout en me poussant des hanches, elle s'installe bruyamment.
  • Comment on se gèle les miches, c'est abusé ! Un peu plus et j'étais congelée pour de vrai.
Personne n'ose rien dire.
  • Waouh, paye ton ambiance ! Ça va être sympa, ce week-end ! (petite pause) Sans dec, rien de beau à raconter ? Même pas toi?
Violette me pousse gentiment du coude.

        D'habitude, tu as toujours un truc à dire...


Je finis par lâcher:
  • Le truc c'est que ça caille mais Maman préférerait qu'on pense aux plus démunis.
  • Ok, d'accord, je vois le genre... Ouais, bah, comme dit ma pote Alex, pas besoin d'être clodo pour se peler le dos.
  • Super, Violette ! (Maman est vraiment furax, pour le coup) La prochaine fois, tu nous épargneras ce genre de réflexions.
  • Bah quoi ? C'est marrant !
  • Non, ce n'est pas « marrant » justement. Tu sais quoi ? On va la faire dormir dans le métro, ta « pote », elle nous dira si c'est la même chose.

Il est temps que Papa reprenne les choses en main.
  • Bon, on est d'accord, on fait le sapin, ce week-end ?
  • Ha ouais, mais pas de décos débiles comme l'année dernière ! N'est-ce pas, Mael ? Tes playmobil et tes Legos, t'es gentil, tu les laisses dans la chambre.

Mael bondit. On dirait qu'il a été piqué par une guêpe (à moins qu'il ne se réveille, c'est possible aussi).
  • Non ! Mes Playmobiiiiil !
  • Bon, vous énervez pas les enfants, on verra bien quand on y sera. Je suis sûr qu'on trouvera un compromis.

Et nous voilà partis jusqu'au lundi.
Je sens que ça va être un joyeux bazar, moi, cette affaire...
Pour changer.


La photo qui n'a rien à voir mais que j'avais envie de mettre quand même.













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dans Quelques grammes de musique,

et dans Le mercredi, on culture les petits,

 

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